Travailler avec les familles
Bien que le patient reste toujours le pivot central de l’organisation des soins et des prises en charge, les psychomotriciens, dans les dispositifs qu’ils mettent en oeuvre, sont depuis déjà bien longtemps restés attentifs et vigilants à prendre en compte l’environnement familial des personnes qu’ils accueillent.
La très délicate articulation entre la nécessaire intimité d’une rencontre entre deux protagonistes (patient et soignant) et l’ouverture vers l’espace tiers constitué par la famille amène parfois les psychomotriciens à effectuer un grand écart des plus inconfortables. Ce dernier s’interroge alors sur la place à accorder aux familles dans le dispositif psychomoteur, de l’invitation directe à participer aux séances (prises en charge dites conjointes) à une délimitation plus marquée d’un travail familial mené en périphérie et dans un autre espace institutionnel, les réponses possibles sont nombreuses et diverses.
Dans ce numéro consacré sur le travail avec les familles, les auteurs nous font partager leurs pratiques et réflexions en la matière et nous aident à penser la délicate question de la place des familles dans le dispositif de soin en psychomotricité :
Dans son article, Marie Pierre DELAYE-DELAJOUD expose une approche novatrice d’un travail d’accueil de jeunes patients et de leur famille. En permettant l’accès au CMP dans un délai raisonnable et sur une durée limitée, ce travail en groupe a pour principal objectif d’éviter l’enkystement de certaine situation autour d’une conduite faisant symptôme mais également de mettre en travail la demande parentale.
En tant que psychologue d’orientation psychanalytique, Marie-Claire DENECHEAU-BIASSE apporte son éclairage sur la souffrance psychique que peut engendrer le handicap dans la cellule familiale et les remaniements psychologiques qui en découlent.
Dans la rubrique « Témoignages », Sylvie DIDES, psychomotricienne, nous fait part de son expérience personnelle autour du jeu avec son frère autiste et de l’articulation faite avec sa profession.
De part son expérience singulière, Sylvie DIDES s’est intéressée plus particulièrement au travail avec les fratries. Dans le cadre de ce numéro, elle s’entretient également avec le Professeur Régine Scelles, psychologue clinicienne dans un service de soins et d’éducation spécialisée à domicile qui a écrit de nombreux livres sur le thème de la fratrie et dont le dernier ouvrage paru aux éditions L’Harmattan s’intitule « Fratrie et Handicap, Ressource et Traumatisme de l’enfance à l’âge adulte ».
Nicolas Raynal, psychomotricien, nous expose l’intérêt d’impliquer les parents d’enfants accueillis en libéral dans la prise en charge psychomotrice. Pour cela, il nous démontre l’importance de la restitution du bilan. Ce dernier permet, entre autres, aux parents de s’approprier réellement la demande initiale souvent initiée par quelqu’un d’extérieur, mais également de comprendre les moyens mise en place par le psychomotricien pour élaborer le projet thérapeutique.
Dans son article, Anne LUGI-DUGGAN, Psychologue clinicienne que les psychomotriciens connaissent bien, relate l’intérêt d’utiliser « l’eau » comme médiateur afin d’aider les parents à sortir de l’état de sidération engendré par l’annonce du handicap de leur enfant.
Sophie MERO, psychologue clinicienne, et Nelly THOMAS, psychomotricienne, ont allié leur savoir faire et compétences afin d’élaborer un dispositif d’accompagnement de suivi postsortie dont le but est de croiser les regards et les pratiques autour de la mère et du bébé. En proposant des séances conjointes incluant un travail au tapis avec le tout petit, leur objectif est de permettre un meilleur ajustement de la relation mère-bébé et ainsi d’aider les parents à sortir du cadre de la prématurité pour s’inscrire dans celui de la parentalité.
Enfin, nous terminerons ce numéro par la publication intégrale des deuxièmes journées d’étude psychomotrices qui se sont déroulées à Lyon sur le thème des processus de représentation à l’épreuve du handicap. Nous remercions les organisateurs et intervenants de ces journées pour la qualité de leurs travaux. La revue Thérapie Psychomotrice -et Recherches- souhaite ainsi continuer à soutenir en les publiant les travaux des associations de terrain qui oeuvrent à l’élaboration des pratiques psychomotrices. Les associations de psychomotriciens, font un travail remarquable, souvent méconnu du plus grand nombre car limité géographiquement. Il serait souhaitable que le fruit de ce travail de terrain ne reste pas « littérature grise » enfermée dans des placards mais profite à l’ensemble de la profession.
Nous tenons, également, à remercier chaleureusement les enfants ayant réalisé les dessins qui illustrent la revue.
Bonne lecture
Marie-Claire DENECHEAU-BIASSE
Psychologue de formation psychanalytique, CAMSP et UETD centre hospitalier de Chartres.
E-mail : denecheau-biasse@orange.fr
Vécu traumatique du handicap, haine, culpabilité, blessure narcissique et symbiose secondaire telles sont les problématiques dominantes qui apparaissent dans l’accompagnement psychologique de la souffrance psychique des parents dont un enfant est en situation de handicap. Via le recours à la clinique mise en perspective avec des apports théoriques, nous verrons comment s’expriment ces différents mouvements psychiques qui infiltrent le lien parent-enfant et peuvent avoir des effets délétères sur son développement. Puis, de façon générale, nous dégagerons les principales fonctions qui sous-tendent le travail psychologique avec les familles en CAMSP.
Mots clés :
Handicap - Souffrance psychique - Traumatisme - Haine - Blessure narcissique - Culpabilité - Symbiose secondaire - Fonctions de l’accompagnement psychologique.
Anne LUGI-DUGGAN
Psychologue Clinicienne retraitée, Chargée de cours à L’université Paris VII de 1971 à 1976. Pratique en CMPP 1976 à 1989 et CAMSP de 1989 à 2006. Bastia. Haute Corse. Formatrice S.N.U.P. depuis 1999.
Entre ouverture et défense le passage du milieu aérien au milieu aquatique crée des ruptures dans le quotidien des familles d’enfants nés porteurs de handicaps. Entre Inquiétante Etrangeté et illusion féconde, l’eau prise comme « médiate », par ses qualités spécifiques ouvre à la levée de la sidération psychique des parents, aux jeux, au transfert d’éprouvés corporels, à l’expression d’émotions et de fantasmes, de sentiments ambivalents, à la prise de parole. Quatre situations illustrent ces assertions.
Mots clés :
Embase de la médiation aquatique - Handicaps - Famille - Illusion féconde - Inquiétante Etrangeté - Jeu de la vie.
Marie Pierre DELAYE-DELAJOUD
Psychomotricienne, CMP de Vétraz-Monthoux (Haute-Savoie).
Une expérience d’accueil de familles d’enfants jeunes dans un CMP de Haute-Savoie, dans un dispositif conçu comme une interface entre le dedans (du soin) et le dehors. Prendre le temps de se rencontrer pour tenter une mise en suspension de la demande autour du symptôme porté par le jeune enfant et permettre une mise en mouvement des enjeux, même dans la crise, afin que chacun puisse retrouver sa place. Essayer de mobiliser la famille autour de la souffrance qui s’exprime et de faire alliance avec elle pour pouvoir proposer un soin (si nécessaire).
Mots clés :
Prévention - Groupe et individu - Accueillir - Suspension de la demande - Partage d’expériences - Étayage entre pairs - Mise en mouvement des enjeux.
Nicolas RAYNAL
Psychomotricien. Exercice en libéral et en hôpital psychiatrique adulte.
E-mail : nicolas.raynal.psychomotricien@orange.fr
Dans le soin psychomoteur, le bilan tient une place importante dans la mesure où il constitue le plus souvent le point de départ du travail, mais également son point final. Dans le cadre de l’exercice libéral, cette importance est exacerbée du fait de l’importance de son caractère informatif tant pour le patient et sa famille que l’ensemble des autres acteurs gravitant autour de l’enfant. Le troisième point à relever est l’évolution actuelle qui veut que le patient ait un libre accès aux informations médicales le concernant. Cet ensemble de constats fait que le compterendu écrit du bilan psychomoteur prend une place de plus en plus importante dans l’activité du psychomotricien exerçant en libéral. Mais pour autant, il peut apparaître que l’importance de cette trace écrite ne se cantonne pas aux seuls domaines de la clinique auprès de l’enfant (lorsqu’il s’agit d’un enfant) ou de l’information autour de cette clinique. En effet, le compte-rendu écrit peut prendre une place non négligeable dans le travail du psychomotricien, notamment avec les parents de l’enfant accueilli en soin.
Mots clés :
Libéral - Bilan psychomoteur - Parents.
Sophie MERO
Psychologue clinicienne, Unité Néonatale Centre Hospitalier Intercommunal - 40 avenue de Verdun 94000 Créteil.
E-mail : sophie.mero@chicreteil.fr
Nelly THOMAS
Psychomotricienne, Unité Néonatale Centre Hospitalier Intercommunal - 40 avenue de Verdun 94000 Créteil.
E-mail : nelly.thomas@chicreteil.fr
La naissance d’un enfant prématuré, outre le risque somatique, entraîne des bouleversements psychologiques importants du côté des parents qui peuvent altérer la mise en place du lien mère-bébé au moment de la sortie du service de néonatalogie. Nous avons donc monté un dispositif d’accompagnement de suivi post-sortie permettant de croiser les regards et les pratiques autour de la mère et du bébé.
Mots clés :
Prématurité - Accompagnement - Sortie de néonatalogie - Interaction - Travail au tapis.
Sylvie DIDES
Psychomotricienne. E-mail : msac.dides@free.fr
Mon intention est de partager avec vous une réflexion sur le jeu, ou plus exactement, sur une certaine façon de jouer issue de mon expérience de soeur et de psychomotricienne, mais également de l’observation des interactions parents-bébé que je prendrai comme modèles de jeu. C’est pourquoi je rappellerai d’abord brièvement en quoi le jeu est essentiel dans le développement du bébé. Puis, en reprenant deux observations d’interaction parent -bébé menées, une par Brazelton et l’autre par Ciccone, et en les associant à mon expérience de soeur et de psychomotricienne, j’évoquerai la difficulté, mais aussi l’intérêt de jouer avec les personnes autistes et les conditions qui me semblent incontournables pour que le jeu advienne.
Mots clés :
Jeu - Plaisir partagé - Improvisation - Modalité d’interaction - Partenariat vrai - Surprise.
Gaëtan MUNOZ
Psychomotricien. E-mail : munoz.gaetan@neuf.fr
Où commence la rencontre dans la clinique psychomotrice ? Suffit-il de se voir ou faut-il se regarder ? Suffit-il d’être ensemble, côte-à-côte, face à face, l’un contre l’autre ? Faut-il se toucher ? Se laisser toucher ? Comment débute la rencontre dans la clinique du polyhandicap ? Que se passet- il dans nos corps, dans nos têtes, dans nos représentations ? En quels endroits de notre identité professionnelle et intime sommes-nous sollicités ? Passe-t-elle par une rencontre d’image du corps à image du corps ? Quand nous sommes-nous vraiment rencontrés avec Ligia, jeune femme polyhandicapée au corps marqué de tensions, de déformations, d’immobilité ? Elle crie. S’exprime-t-elle ? Souffre-telle ? Existons-nous pour elle ? Existe-t-elle pour elle ? Etre en présence de Ligia nous a fait sombrer dans une profonde sidération, à la fois fascinés, effrayés et assommés : plus rien ne vient, plus de pensée, plus d’affect, plus d’éprouvé, plus de mots… Qu’est-ce qui, dans la particularité du dispositif de soin, nous a permis d’être ensemble ? En quoi nous laisser aller dans une rêverie nous a permis de rester vivants : « La petite sirène », figure d’un monstre hybride, voilà peut-être notre première rencontre… celle qui nous a autorisés à approcher Ligia, à la porter, à l’envelopper, à la penser… Si les débuts de cette thérapie psychomotrice nous ont plongés dans des abysses d’angoisses archaïques, le bateau ne s’est pas échoué. Nous ne nous sommes pas noyés, peut-être avons-nous même un peu appris à nager ensemble. Quelque chose a pu émerger. Ligia semble commencer à se saisir d’elle-même, de son corps… à se tourner un peu vers l’extérieur et vers l’autre.
Mots clés :
A compléter...
Cécile FAIVRE-MOTTET
Des mouvements ad libitum, des stéréotypies qui nous font perdrent le fils du sens, des couloirs, des traversées qui sont de véritables épreuves, la personne autiste parfois adhère, se colle et souvent, elle nous sidère. L’autisme renvoie à cette bulle où l’environnement est inaccessible, où la boucle d’autosensation ferme l’accès et protège le sujet des angoisses les plus archaïques de désintégration et d’anéantissement… Où trouver l’autre ? Comment être ensemble, alors que la personne fuit cet autre trop proche, trop visible, trop différencié ? Tout accès à l’extérieur est bloqué, le circuit est vase clos. Plus rien n’est possible. Percevoir la matière, prendre forme, soutenir la forme quand le sujet nous renvoie à des éprouvés immatériels, à de l’absence a été dans mes intentions thérapeutiques. Seulement les angoisses s’expriment dans le corps et elles contaminent aussi par ce qu’elle ont de plus archaïque allant dans l’indifférenciation ou dans les éprouvés corporels dépersonnalisant. C’est alors que le recours à mon imaginaire pourra soutenir les rencontres. Les attitudes et les postures du corps deviennent des représentations. Le corps prend sens, les choses deviennent pensables. L’imaginaire joue le rôle de tiers là où la sidération bloquait tout possible relationnel. Il permet une mise en mouvement des corps vers une rencontre. Dans le travail avec Solène, et plus globalement dans le soin psychomoteur auprès des personnes lourdement handicapées, les mouvements psychiques et corporels sont soutenus par la possibilité d’entrer soi-même dans un mouvement, dans une rêverie qui nous laisse à penser cet autre quasi statique de par nature, immobilisé par ses angoisses ou figé dans sa structure.
Mots clés :
Autisme - Sidération - Indifférenciation - Fixation - Eprouvés - Représentation - Processus d’élaboration.
Blandine GAUD
Psychomotricienne en FAM, Rhône - E-mail : gaud_blandine@hotmail.com
Natacha VIGNON
Psychomotricienne en FAM, Rhône - natachavignon@hotmail.fr
Lorsque « rien ne tient » autour d’un patient, que tous les dispositifs de soin proposés n’arrivent pas à s’inscrire dans le temps, comment continuer à penser ce patient ? Nous partagerons avec vous notre rencontre avec Mr D., un homme de 54 ans, lourdement handicapé vivant dans un foyer d’accueil médicalisé. Victime d’un traumatisme crânien à l’âge de trois ans, Mr F. est aux prises avec une déficience motrice sévère et une souffrance psychique importante. Un « gros trou » à l’intérieur de son cerveau laisse à ceux qui l’accompagne un sentiment étrange, entre étonnement et appréhension. Sur fond de troubles maniaco-dépressifs, ses symptômes se sont fortement accentués ces dernières années : angoisse majeure la nuit dont il se défend en hurlant, modalités régressives et agressives autour de la sphère anale, appauvrissement de la relation, rigidité tonique, altération des capacités cognitives… En psychomotricité, après un suivi de groupe ouvert, un suivi individuel et enfin un travail de groupe en lien avec les éducateurs de son pavillon, tout semblait se rejouer dans une suite d’illusions-désillusions, aggrippement-lâchage, investissement-désinvestissement… mettant à mal la continuité et la contenance de cet espace de soin. Dans un contexte d’épuisement et d’impuissance institutionnelle devant la massivité de ses symptômes, nous avons alors pensé pour Mr F. à un dispositif « de la dernière chance », un dispositif particulier de soin psychomoteur… à 3 ! En nos appuyant sur nos éprouvés corporels (clivés, intenses et brutes) et nos représentations (oscillant entre scénarios secondarisés et primaires), nous revisiterons les 7 mois de soin avec ce patient pour comprendre la saisie d’un espace de rencontre et la remise en mouvement d’un processus de subjectivation. Ainsi nous verrons comment être trois nous a permis d’ouvrir un espace tiers au sein de la séance offrant un moyen de nous protéger des vécus mortifères et ainsi de continuer à rêver un peu… Dispositif permettant de faire « au moins 1 à deux » pour ne pas chuter dans un trou sans fond… De manière plus générale, nous interrogerons comment accompagner des personnes lourdement handicapées semblent nécessiter des espaces tiers solides.
Mots clés :
Co-thérapie - Dispositif de soin - Sidération - Traumatisme - Trous - Handicap moteur - Médiation - Jeu - Clivage - Carapace tonique - Processus de représentation - Triangulation - Subjectivation.
Olivier R. GRIM.
Docteur en Anthropologie Sociale et Ethnologie, EHESS, Psychomotricien.
Face à « l’altérité radicale » au sens où le développe Jean Baudrillard et dont l’une des expressions est le handicap lourd, Blandine Gaud, Natacha Vignon, Cécile Faivre et Gaëtan Munoz expriment avec force les effets de la confrontation. Au contact de leurs patients, ces quatre cliniciens évoquent les mêmes idées de vécus mortifères, de trou sans fond, d’angoisses archaïques de désintégration et d’anéantissement. Dès lors comment construire un espace de rencontre ? Comment vivre cette dernière ? Tous quatre parlent de leur capacité « à rêver » pour survivre à la rencontre et faire exister l’autre dans sa singularité à être au monde. Ces cliniques de l’extrême convoquent à leur chevet la question des origines et des fins et, en deçà et au-delà de ces deux bornes, cet « espace » d’où arrivent les nouveau-nés et vers lequel repartent les nouveau-morts, « territoires de l’inconnaissable » dont les personnes en situation de handicap sont des plénipotentiaires désignés. Comment à travers les âges, le temps et l’espace, du mythe à la théorie, des anciens aux modernes nous construisons des « rêves » pour établir la rencontre et la transaction, tel sera notre propos.
Mots clés :
Clinique de l’extrême - Texture mythique - Représentation de mort.