Les thérapeutiques psychomotrices à l’épreuve de l’adolescence
L’engouement qui parcoure actuellement les champs de la clinique et de la recherche à propos de cette période de transition essentielle que constitue l’adolescence du sujet humain a généré depuis déjà plusieurs années des réflexions plurielles qui (personne ne le niera) ont eu un impact certain sur la prise en charge des adolescents en général. La rencontre clinique avec ces jeunes sujets, véritables « adultes en devenir » engagés dans un travail de subjectivation complexe, a en tout cas rapidement nécessité, notamment dans le contexte des manifestations psychopathologiques qui peuvent s’y déployer, le déploiement d’une forme d’inventivité nouvelle pour penser et créer des dispositifs thérapeutiques adéquats. La poussée pulsionnelle à l’oeuvre (issue certes de la puberté mais aussi des remaniements psychiques qui l’accompagnent), la prédominance de la place donnée au corps et à l’acte ainsi que les enjeux relationnels multiples impliqués à cet âge de la vie deviennent dès lors des données incontournables à prendre en compte dans le cadre de soins qui, bien souvent, vont essayer de contenir et de donner forme à des mouvements psychiques d’une rare intensité.
Un fait, dans ce contexte, reste toutefois étonnant, notamment lorsque nous le considérons dans le cadre du champ de la psychomotricité : s’il paraît désormais évident que les souffrances rencontrées par les adolescents nécessitent leur prise en charge, il semblerait que, dans le passé, la pertinence de la place que pourraient prendre les praxis psychomotrices auprès de cette population n’ait pas toujours fait l’objet (et loin de là !) d’un consensus. Que ceci ait pu être écrit ou simplement parlé voire ébruité, il semblerait en tout cas que l’idée de proposer à des adolescents des thérapies à médiation corporelle n’ait guère été une évidence. Cela s’explique certainement tout d’abord par une forme de prudence louable qui vise à ne pas évacuer les enjeux corporels liés à la « surchauffe » pulsionnelle et libidinale à laquelle l’adolescent est soumis ainsi qu’à toute la question de l’avènement de la sexualité génitale. Dans ce contexte, proposer un suivi en psychomotricité auprès de l’adolescent pourrait ressembler à une forme de grave méconnaissance de la dynamique dans laquelle se trouve plongée l’image du corps : ne risque-t-on pas dès lors de venir, à grand renfort d’excitation, aggraver une forme de fragilité déjà bien présente ? Se peut-il aussi que la sexualisation du lien objectal sur un mode génital (avec toute la part de séduction potentiellement traumatique qui l’accompagne) constitue en soi une contre-indication majeure à une forme de prise en charge en psychomotricité ?
C’est à partir de cet argument que nous vous proposons désormais de considérer les écrits qui vont suivre, avec (très modestement) l’idée de pouvoir dépasser ces questions pour surtout illustrer la façon dont les psychomotriciens travaillent avec les adolescents aujourd’hui…
L’interview de notre collègue Catherine POTEL, clinicienne et chercheuse, nous permettra de poser quelques bases de réflexions autour de ce sujet, à partir de son récit de certaines expériences cliniques ainsi que des perspectives théoriques qui les accompagnent et permettent de penser le cadre des rencontres avec les adolescents en psychomotricité…
Elle sera suivie par un article de Charlotte PAUMEL, psychomotricienne qui s’est intéressée de façon originale aux enjeux de la rencontre avec l’adolescent autour du bilan, illustrant ainsi toute la pertinence de la proposition de ce dernier à cette population et en tirant un certain nombre d’idées importantes.
L. BIELER et I. CHARPINE-PISCAGLIA nous donneront elles une vivante illustration clinique de ces pratiques avec les adolescents, précisant différentes modalités d’accueil de ces derniers en terme de cadre mais aussi les opérateurs théoriques qui les soutiennent dans ces rencontres.
Nous aborderons ensuite deux articles « Hors thèmes » écrits respectivement par Damien GALMISH puis E. DEVANNE. Si le premier constituera une illustration argumentée et complexe autour de la question de l’autisme infantile et de l’approche théorico-clinique qui peut en être faite en psychomotricité, le second s’intéressera lui à la question des troubles en psychomotricité et apporte de précieux éléments de compréhension pour pouvoir articuler les notions de thérapie et de rééducation sans toujours les opposer. Véritables plaidoyers pour la complexité, ces deux écrits vont en tout cas dans le sens d’une vision plurielle de l’approche psychomotrice, bien secourable en des temps où il semblerait qu’elle soit sommée dans certains espaces de « choisir son camp » de façon grossière et caricaturale.
Enfin, ce numéro se terminera par un tryptique de textes ayant tous pour point commun la référence à la notion de trace(s) : il s’agit là de la publication des actes d’une journée régionale qui avait servi de « prélude » aux JA de Strasbourg (organisée en 2010 autour du même sujet). Mis en perspective avec le numéro 169 de notre revue (qui reprenait lui tous les textes de ces journées annuelles), ces trois contributions (d’Odile Frand, de Marie Alice Du Pasquier et de Roland GERBER) permettront de prolonger les réflexions exposées dans ce précédent numéro et d’ouvrir vers d’autres voies…
En vous souhaitant bonne lecture…
Charlotte PAUMEL page 14
Psychomotricienne DE. Clinique Dupré, Sceaux (92).
CMP enfants- adolescents Croix Saint Simon, Paris 20.
Les psychomotriciens, même s’ils envisagent parfois le bilan sous des angles différents, l’utilisent de manière assez systématique avec les enfants. Ils disposent pour cela d’un panel d’outils. Son utilisation auprès des adolescents ne semble quant à elle pas aller de soi si l’on en croit les questionnements des psychomotriciens sur le terrain, le manque de littérature et de tests spécifiques. Ce décalage s’explique sans doute par différents facteurs liés à la spécificité de cette période de la vie, que nous allons essayer d’explorer. A l’heure où la psychomotricité se développe auprès d’un grand nombre de populations, il semble en effet nécessaire de davantage formaliser nos pratiques pour les rendre lisibles et partageables.
Loraine Biéler page 28
Psychiatre, Psychothérapeute.
Isabelle Charpine-Piscaglia
Psychomotricienne, Psychothérapeute. Chargée de cours HES, Filière Thérapie Psychomotrice. Hôpitaux Universitaires de Genève, Département de l’Enfant et de l’Adolescent (DEA), Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (SPEA). Contact : isabelle.charpine@hcuge.ch
A l’adolescence le corps est « au devant de la scène » et peut devenir le lieu d’expression de manifestations psychopathologiques. Le corps est sans cesse sollicité quand la pensée est difficilement investie car trop menaçante. Le travail de subjectivation est donc particulièrement mis à mal au risque d’émergence de matériel archaïque. Les psychothérapies à médiation corporelle (individuelles et/ou groupales) permettent à l’adolescent d’approcher son monde interne.
De l’intuition à la recherche clinique en psychomotricité « Conférence de l’ARRCP à Lyon en novembre 2009 »
Damien GALMICHE page 46
Psychomotricien en CMPP, diplômé au D.U. d’initiation à la recherche clinique en Psychomotricité. Enseignant cirque. Chargé de cours à la Salpetrière.
« Le noir dans lequel il se réveillait ces nuits-là était aveugle et impénétrable. Un noir à se crever le tympan à force d’écouter. Il était souvent obligé de se lever. Pas d’autre bruit que le vent dans les arbres dépouillés et noircis. Il se levait et titubait dans cette froide obscurité autiste, les bras tendus devant lui pour trouver son équilibre tandis que les mécanismes vestibulaires faisaient leurs calculs dans son crâne. Une vieille histoire. Trouver la station verticale. Aucune chute qui ne soit précédée d’une inclinaison. Il entrait à grandes enjambées dans le néant, comptant les pas pour être sûr de pouvoir revenir. Yeux fermés, bras godillant. Verticale par rapport à quoi ? Une chose sans nom dans la nuit, filon ou matrice. Dont ils étaient lui et les étoiles un satellite commun. »
(Cormac McCarthy)
Les troubles psychomoteurs et la place de la psychomotricité dans la prise en charge de l’autisme aujourd’hui
Élise DEVANNE page 54
Psychomotricienne DE, diplômée du DU Autisme (Paris VII, sous la direction de Chantal Lheureux- Davidse). Psychomotricienne en service de pédopsychiatrie (CMPI, CATTP petite enfance et Hôpital de Jour) - Hôpital François Quesnay - 2 Bd Sully, 78200 Mantes La Jolie.
La prise en charge de l’autisme est, aujourd’hui encore, source de controverses et de points de vue divers, voire divergents. Le suivi de l’enfant, pris sous un angle psycho-dynamique, nous permet d’appréhender les difficultés de l’enfant au niveau de la structuration du moi corporel et de l’image du corps. L’observation psychomotrice intervient comme une ébauche à ce travail. Elle permet également de repérer la dimension sensori-motrice des troubles envahissants du développement, ainsi que la difficulté pour ces enfants d’habiter leur corps autrement que dans une recherche incessante du maintien d’un équilibre interne. Cet effort constant de l’enfant, pour lutter contre des angoisses corporelles massives, est parfois difficile à appréhender pour la famille. Leurs conduites restant le plus souvent sans explication. En précisant le rôle du psychomotricien dans la prise en charge des troubles de l’image du corps, nous insistons également sur l’articulation nécessaire et enrichissante des différentes approches, qu’elles soient rééducatives et/ou de soins.
Odile FRAND page 66
Psychomotricienne.
Les problèmes de graphisme et d’écriture sont un des champs de l’intervention des psychomotriciens, bien souvent sollicités quand un enfant ne dessine pas ou peu, quand il est maladroit dans son graphisme, ne parvient pas à apprendre à écrire ou dont l’écriture se détériore dès les premières années du cycle primaire.
Le « trouble graphomoteur », les dysgraphies sont des troubles psychomoteurs (de AJURRIAGUERRA) : la psychomotricité renvoie à la fluidité du geste rendue possible par la manière d’être de chaque individu dans son expression corporelle, son équilibre tonico-émotionnel et sa relation au monde.
Marie-Alice Du Pasquier page 76
Psychologue psychanalyste. Membre de la Société psychanalytique de Paris (SPP) et de l’International psychoanalytical association (IPA), présidente de l’Association pour l’enseignement de la graphothérapie clinique (AEGC), vice-présidente de l’Association pour l’enseignement de la psychothérapie psychanalytique corporelle (AEPPC), et anciennement chargée de cours à la faculté de Paris X-Nanterre.
Le mot trace convoque tout d’abord une image visuelle, d’empreinte, mais y est toujours associé une image d’action. Une trace est toujours le résultat d’une action, elle est ce qu’il en reste. La trace est pérenne, elle reste après l’action, mais elle est privée de la vie de l’action. On peut dire qu’elle ne revit que lorsqu’elle est vue, regardée. Elle appelle identification inconsciente à l’acte qui l’a produite. La trace comporte toujours cette double polarité d’être à la fois passive et active, tout comme elle est absence et présence. Elle évoque une perte, parce qu’elle est un reste inerte, mais elle est retrouvée et gardée, par le regard qui s’y porte et la revivifie.
Docteur Roland GERBER page 84
Psychiatre, praticien hospitalier, Service de psychiatrie infanto-juvénile (Chef de service : Pr Bursztejn), Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.
Je vous propose aujourd’hui de prendre ce titre au pied de la lettre pour essayer de penser - ou plutôt de constater - l’utilisation tout à fait improbable que certains autistes font du langage écrit et plus particulièrement de la lettre. Pour vous donner un exemple de ce qui m’étonne depuis maintenant plus de 25 ans, je vous propose de regarder un de ces enfants : Beat âgé de 3 ans ½ qui présente des compétences exceptionnelles, c’est en tous cas ce que disent les tenants des neurosciences. Hélas, Beat est un autiste de bas niveau comme le montra son évolution déficitaire (séquence vidéo).
Comme on dit, cette séquence parle toute seule. Beat est littéralement « illuminé » par la vue, la manipulation et la vocalisation des lettres. Vous constatez comme moi la puissante attraction de ces drôles d’objets que Beat choisit à l’exclusion de tous les autres objets ou stimulations réunies dans la pièce.
Je vous propose donc de réfléchir cet après-midi sur une question apparemment simple : qu’est-ce qui, dans l’écrit, attire de façon quasi magnétique certains enfants autistes ?
42ème Journées Annuelles de Thérapie Psychomotrice : Groupe et Psychomotricité
42èmes J.A. de Saint-Etienne