Le psychomotricien hors la séance
Nous avons souhaité débuter ce numéro thématique consacré aux actions des psychomotriciens « Hors la séance » par un remarquable travail de recherche menée en Suisse romande par Sylvie AVET LOISEAU-TISSOT et des psychomotriciens, enseignants à la filière Thérapie psychomotrice de la Haute école de travail social de Genève. Cette recherche sur l’évaluation des effets des thérapies psychomotrices a le grand mérite de ne pas céder aux sirènes des approches focales, si en vogue actuellement, renouant ainsi avec une approche intégrative de la psychomotricité et de la recherche si chère à Julian de Ajuriaguerra. Nous laissons le lecteur découvrir les résultats prometteurs de cette recherche et on ne peut qu’inciter nos collègues et enseignants-chercheurs à poursuivre dans la voie ainsi tracée. Nous profitons d’ailleurs de l’occasion qui nous est donnée pour annoncer aux lecteurs que nous accorderons dorénavant dans la revue plus de place aux travaux de recherches et notamment aux recherches centrées sur la clinique.
Notre jeune collègue Amélie COURTIN nous relate dans un très bel article une réflexion sur la temporalité de l’urgence dans le monde du travail. Cette réflexion menée sur la base d’une enquête auprès des professionnels souligne l’accélération des contraintes de l’institution et leurs impacts sur les pratiques psychomotrices. Le temps de l’institution n’est pas celui du sujet, comment dès lors concilier deux logiques si opposées ?
Nous poursuivons avec Frédéric PUYJARINET sur la question de la temporalité mais dans une toute autre perspective, centrée principalement sur la dimension comportementale de la gestion du temps. Dans cet article très argumenté Frédéric PUYJARINET fait une revue des travaux actuels sur les mécanismes de perception et connaissance du temps chez l’enfant et propose pour le clinicien des pistes possibles de remédiations.
Enfin en clôture de cette thématique Géraldine AYMARD nous livre une expérience des plus originales en se mettant dans la peau d’une personne obèse par le biais d’un costume simulant l’obésité. Partant au plus près du corps et de ses ressentis Géraldine AYMARD nous propose des pistes de travail possibles en psychomotricité auprès des personnes obèses.
Ce numéro se poursuit par la publication intégrale de la journée d’étude de nos collègues lyonnais (ARRCP) consacrée aux addictions. La présentation et le fil rouge de cette journée sera assurée page 54 par Catherine POTEL-BARANES.
Nous tenons cependant à remercier tous les participants à cette journée mais plus particulièrement les membres de l’Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa région qui chaque année nous offre, un travail de réflexion et de recherche de qualité qui comme le bon vin (région oblige) s’améliore d’année en année. Qu’ils en soient ici remerciés.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Cadre et résultats d’une recherche menée en Suisse romande page 4
par Sylvie AVET L’OISEAU-TISSOT
Professeure HESSO-Genève Filière Thérapie psychomotrice Psychomotricienne astp sylvie.avetloiseau@hesge.ch - Haute école de travail social 28 Rue Prévost-Martin Case postale 80 CH-1211-Genève 4.
Bernard SENN
Chargé de cours, HESSO-Genève Filière Thérapie psychomotrice Psychomotricien astp.
Karinne BALIGAND-LECOMTE
Psychomotricienne astp, Lic. en psychologie.
Sandra RUSCONI-SERPA
Resp. Unité de recherche du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (SPEA), Psychologue, Hôpitaux Universitaires Genève.
Les auteur-e-s présentent le déroulement d’une recherche menée en Suisse romande à propos de l’évaluation des effets de la thérapie psychomotrice auprès d’enfants âgés de 4 à 8 ans au début du traitement et souffrant d’un trouble psychomoteur. Les principaux résultats y sont exposés. Ils mettent en évidence que la thérapie psychomotrice a des effets, principalement sur les plans moteur et psychoaffectif des sujets.
Amélie COURTIN page 20
Psychomotricienne. 2331 route de Bonneville - 74800 ARENTHON.
De nombreux auteurs contemporains tels que Hartmut Rosa, Zaki Laïdi ou Nicole Aubert qualifient notre temps actuel de temps de l’urgence.
Au travers de la question du temps, nous allons nous pencher sur différents changements intervenus ces dernières années au niveau des conditions de travail du psychomotricien en institution. Nous verrons si ces changements touchent le coeur de la prise en charge et de quelle manière la notion de temporalité compose le cadre thérapeutique.
Pour finir, nous verrons que ces changements ne sont pas sans conséquence. Les professionnels doivent parfois faire face à des demandes d’efficacité et de rendement inhérentes à ce temps de l’urgence impliquant parfois une réduction de leurs temps de réflexion, prise de note et moments de ressource pourtant légitimes.
Frédéric Puyjarinet page 30
Psychomotricien - 95, Allée de l’Aube Rouge 34 170 Castelnau-le-Lez.
Percevoir les données temporelles issues de l’environnement et savoir s’y adapter font partie intégrante du fonctionnement de la majorité d’entre nous. Depuis plusieurs décennies, la recherche scientifique tente de mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui sous-tendent la perception du temps et les phénomènes comportementaux qui s’y rapportent. A la lumière des connaissances actuelles, il apparaît que plusieurs troubles psychomoteurs sont directement concernés par des altérations de la perception et/ou de la gestion des données temporelles. Des pistes cliniques ont d’ores et déjà été explorées à la faveur de ces travaux de recherche, et de nouveaux outils d’évaluation et de remédiation thérapeutique devraient pouvoir être proposés aux patients afin d’améliorer ou de préserver leur faculté à ajuster sur le plan temporel leurs comportements et leurs actions. Nous nous appuyons principalement dans cet article sur le modèle neurobiologique de l’horloge interne et des études comportementales menées sur le thème de la perception du temps, et nous mettons volontairement de côté d’autres aspects liés au temps (philosophique, physique, affectif, etc.) pour cibler notre propos sur la dimension comportementale de la gestion du temps.
Analyse psychomotrice d'une expérience avec un costume simulant l'obésité
Géraldine AYMARD page 44
Psychomotricienne diplômée d’Etat, exerçant au CAMSP d’Argenteuil (95100) et en libéral.
L’obésité est au coeur des préoccupations actuelles de la société de par les risques sanitaires que cette pathologie engendre. Parallèlement, le regard de la société sur le corps peut s’avérer stigmatisant vis à vis des personnes en surpoids. C’est ainsi que l’auteur a été sollicitée par une association pour participer à une campagne de sensibilisation en portant un costume simulant le corps obèse. Dans cet article, elle propose une lecture psychomotrice de son expérience psycho-corporelle en exposant son ressenti et en faisant des liens théorico-cliniques.
Page 53
Si notre société diffuse aujourd’hui abondamment le terme d’addiction sur les médias, l’addictologie explore la souffrance de toutes ces personnes qui pour pouvoir continuer à vivre s’accrochent à un comportement, deviennent « accros » à un produit (alcool, drogue), à un rêve impossible (jeu, achats compulsifs), à une perception de Soi (faim, douleur des scarifications)...
Catherine Potel Baranes page 54
Psychomotricienne au CMPP de l’OSE à Paris, psychomotricienne et thérapeute en relaxation analytique en libéral à Sceaux, enseignante à l’IFP de la Pitié-Salpétrière à Paris.
J’ai eu la chance d’être invitée à venir discuter les interventions du colloque « Addiction et psychomotricité » organisé par l’ARRCP et d’être en quelque sorte le fil rouge de cette journée.
Revenir à Lyon après trente ans (j’ai moi-même été formée à l’institut de formation en psychomotricité de Lyon) a été pour moi un plaisir, d’autant plus que, le hasard aidant, mon mémoire de fin d’étude avait pour thème l’anorexie mentale de la jeune fille ! Un plaisir personnel, donc, mais pas seulement. Revenir à Lyon pour participer à une journée théorico clinique d’une aussi grande qualité, a été une fierté et un honneur...
Claire Exposito page 56
Psychomotricienne au CH Henri Ey, UPM - 129, rue de Chartres, 28630 - Morancez. Enseignante à l’IFP de la Pitié-Salpétrière, Paris.
Nous aborderons la problématique du sujet alcoolo-dépendant : au travers des alcoolisations, celui-ci est pris dans la répétition de la prise d’une substance aux effets psychotropes, mais aussi la répétition d’un geste et d’un agrippement à un objet externe.
Claire BERTIN page 66
Psychomotricienne, danse-thérapeute, thérapeute de groupe, et formatrice pour « Entre sens », Grenoble.
L’adolescence est un processus au cours duquel s’organise tout un jeu de transformations, déformations, formations tant au niveau corporel que psychique. La pathologie alimentaire nous confronte à cette notion d’image du corps déformée, altérée par une perception de soi soumise aux angoisses de perte de limite, de vide et de plein,…
Ce travail se propose de revisiter le parcours de soin en psychomotricité de Barbara, adolescente boulimique, à travers ses grandes étapes : l’histoire de sa rencontre, la singularité de son investissement corporel et le lien thérapeutique engagé, ainsi que l’arrêt de sa prise en charge dans la rupture et l’abandon. Nous tenterons ensemble de relire et questionner la pertinence des dispositifs corporels proposés et d’ouvrir une réflexion théorico-clinique sur le lien entre problématique boulimique et approche corporelle.
Odile Gaucher-Hamoudi page 78
Psychomotricienne dans l’unité TCA du CHU de St Etienne, enseignante à l’IFP de Lyon, membre du conseil d’administration de l’Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa Région.
Le lendemain de son baccalauréat, Framboise accepte la proposition d’une hospitalisation complète. Il est temps. Sa dénutrition est si sévère que tel un nouveau-né, elle ne peut que péniblement tenir sa tête. Son corps crie alors que ses mots policés disent encore : « tout va bien ! » La souffrance physique de Framboise l’aide à investir son soin psychomoteur dans le corps à corps tout d’abord silencieux de nos rencontres. Petit à petit, les mots prennent place et sens. Du corps à la rencontre, nous verrons comment la thérapie psychomotrice s’intègre à la prise en charge beaucoup plus complète et pluridisciplinaire proposée par le médecin psychiatre, la psychologue et l’équipe infirmière tout au long de son hospitalisation complète.
Framboise a repris du poids, et se sent mieux. Son cadre de soin s’est progressivement ouvert, et le travail entrepris avec sa famille nous laisse imaginer une poursuite de son soin en hôpital de jour, avec un retour chez ses parents.
Mais dès sa sortie plus rien ne tient : son poids s’effondre, la fiabilité de son image du corps nouvellement acquise disparaît, restriction et hyperactivité sont de retour. Une tentative de ré-hospitalisation complète ne prend pas sens pour Framboise qui, pour rester le « fruit » de l’amour de ses parents se doit d’être fragile. Maigrir ou grandir, son choix est fait.
Finalement, n’est-ce pas en proposant à Framboise un soin ambulatoire en parallèle à ses études qui la guideront vers une place socialement reconnue que nous l’aiderons le plus à grandir, tout en surveillant que son poids, bien que très bas, se maintienne ? Nous osons maintenant ce pari.
Vincent Dodin page 90
Professeur en psychiatrie, chef de service de la clinique médico-psychologique de l’adulte, GHICL, Lille.
On assiste aujourd’hui à un bouleversement profond dans l’expression des pathologies mentales. Nous sommes en effet passés en quelques décennies, d’une organisation névrotique dominée par le refoulement du désir, à la nécessité de jouir à tout prix et sans délai de tout. La quête de la jouissance, nous positionne de plein pieds dans la problématique addictive qui se décline au plan sociétal où tout est consommable sans limite, ni différé ; Au plan familial, dans la relation addictive qui s’établit entre parents et enfants. Au plan psychopathologique qui nous a fait passer de l’ère de la névrose à l’ère de l’addiction.
Le rapport au corps, à l’image de soi, au poids n’échappe pas à cette nouvelle économie addictive. Ce qui est excitant dans notre monde médiatique et virtuel, c’est de paraître. La partie vivante et habitée du corps a, au fond, peu d’importance, comme en témoignent les mannequins anorexiques qui incarnent le mieux ce rapport à l’image. A l’extrême, le corps n’est plus qu’une image virtuelle sans âme et sans chair
Les adolescents qui s’en prennent à leurs corps nous interpellent aussi sur la question de la mort. L’anorexie, les tentatives de suicide, la proportion qu’ont les jeunes à se couper, les conduites addictives extrêmes… sont autant de mises en scènes de la mort comme pour mieux l’exorciser, peut-être pour retrouver la part vivante qu’ils ont en eux-mêmes. Dans une société où la mort a cessé d’être la condition du vivant, les morts ne sont plus « enterrés » !
Traces indélébiles dans l’inconscient familial, ces morts non enterrés auraient un impact sur le tissage des liens familiaux. Ils diffuseraient leurs arômes mortuaires dans le bain familial et imprimeraient de leur présence la trame du tissu relationnel. Dans le traitement des addictions, les thérapies à médiation sensorielle chercheraient à contacter la mémoire psycho-corporelle imprégnée de cette caractéristique mortuaire pour tenter de la modifier et imprimer d’autres sensations bien vivantes celles-là, qui autoriseraient un rapport bienveillant au corps.
Odile Gaucher-Hamoudi page 98
Psychomotricienne dans l’unité TCA du CHU de St Etienne, enseignante à l’IFP de Lyon, membre du conseil d’administration de l’Association de Réflexion et de Recherche Clinique en Psychomotricité de Lyon et sa Région.
La balnéothérapie est un espace de rencontre privilégiée, lié aux vertus enveloppantes, porteuses, apaisantes et médiatrices de l’eau. Les temps de soin qui précèdent et suivent le moment aquatique sont aussi très pertinents dans le projet de soin des troubles des conduites alimentaires. Argumentée de certains moments de ma clinique psychomotrice, je souhaite que cette intervention révèle comment le cadre de la balnéothérapie peut être intéressant autant en individuel qu’en groupe, et autant en groupe fermé qu’en groupe ouvert ; le dispositif choisi doit correspondre à l’évolution du patient dans son parcours de soin, de l’ambulatoire à l’hospitalisation de jour ou complète.
42ème Journées Annuelles de Thérapie Psychomotrice : Groupe et Psychomotricité
42èmes J.A. de Saint-Etienne